Publié : 16 avril 2025 à 11h43 par Hélène Gosselin
Errance médicale et invisibilisation, les patients Covid long parlent de "descente aux enfers"
En Lozère, des groupes de parole ont été mis en place pour que les malades se sentent moins isolés. Reportage.
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C'était il y a 5 ans. Le Covid-19 se répandait sur la planète créant une pandémie et des conditions de vie totalement inédites. C'était à la fois hier et il y a longtemps. Mais certaines personnes vivent encore aujourd'hui avec des symptômes. Ils sont invisibles et pourtant, d'après l'Organisation mondiale de la Santé, 4% de la population générale souffre d'un Covid long. Cela représente 2 millions de personnes en France.
En Lozère, ils sont une dizaine à assister aux groupes de parole mis sur pied par le Dac48, dispositif d'appui et de coordination, et la maison de santé pluridisciplinaire de Mende. Un reportage d'Hélène Gosselin.
Nadia fait partie des participants au groupe de parole. Elle me reçoit chez elle. Chaque activité se compte, et se paye dans son nouveau quotidien. C'est le cas de notre entretien.
"oui. Avant et après, c'est allongée dans l'obscurité et puis repos total et c'est vrai que c'est quelque chose que les gens ne voient pas, c'est une maladie invisible. C'est-à-dire que là pendant l'interview ou lorsqu'on sort faire ses courses quand on y arrive, si on croise quelqu'un, il va nous dire : "Tiens, t'as l'air d'aller bien". La dernière fois qu'on m'a dit ça, une semaine après, je partais aux urgences et j'étais hospitalisée quinze jours. Donc entre ce qui est visible et la réalité, y a tout un monde. Les rendez-vous médicaux et mon état ont complètement anéanti ma vie sociale, ma vie professionnelle... C'est très compliqué à vivre."
Elle me raconte son histoire, de A à Z. Avant, elle était très active, voire hyperactive, avec un métier passionnant, des investissements dans des associations, elle faisait du sport...
Hélène aussi. Elle est professeure des écoles, mais n'a pas pu travailler depuis plusieurs mois. Une élève l'a croisée à la piscine où elle accompagnait sa fille en sortie scolaire. Elle s'était reposée la veille toute la journée pour se le permettre. "Maîtresse, tu n'as pas l'air malade". Comment lui expliquer qu'il ne faut pas se fier aux apparences, qu'elle va payer cette sortie par plusieurs heures d'épuisement total ?
"Je faisais deux entraînements par semaine de course à pied, je faisais du trail, de la natation sportive une fois par semaine également. J'avais au moins quatre entraînements par semaine de sport intensif et dès qu'il y avait une course, je la faisais le weekend. Je courais le Marvejols-Mende, je faisais des trails de 17 km sans souci. Aujourd'hui, je ne suis absolument plus capable de courir ne serait-ce que 10 minutes. Je ne peux plus courir."
C'est une nouvelle façon de vivre qui ne leur ressemble pas.
Une fracture entre la personne d'avant et la personne d'aujourd'hui
Les patients nous décrivent une fracture entre la personne d'avant et la personne d'aujourd'hui. C'est un de leurs points communs avec l'errance diagnostique, appuie Sophie Maurin, infirmière et coordinatrice de parcours au DAC48. Elle co-anime les groupes de parole. On a constaté qu'ils avaient énormément besoin de parler. Quand ils voient qu'on prend en compte leurs problèmes, qu'on leur dit qu'ils ne sont pas seuls, qu'il y a d'autres personnes, ils sont soulagés. La création des groupes de parole est partie de ce constat au départ.
Le centre de pneumologie d'Antrenas qui est réféfent en terme de prise en charge, mais encore faut-il que le diagnostic soit posé. L'une des particularités du Covid long est de présenter 200 symptômes possibles, qui peuvent faire penser à d'autres affections. C'est souvent après des mois, voire des années d'errance qu'ils obtiennent un diagnostic.
"Soit ils n'arrivent pas à avoir le parcours avec leur médecin, soit ils ont l'impression de ne pas être crus et pris au sérieux, explique Sophie Maurin. Nous on les oriente pour un diagnostic sur Montpellier qui est notre centre de référence. Ils reviennent avec un diagnostic de Covid long ou non. Si c'est le cas, les suivis peuvent être multiples et variés donc on peut les accompagner pour mettre en place leur suivi mais aussi dans une reconversion professionnelle ou faire un dossier auprès de la MDPH [Maison départementale des personnes handicapées ndlr]."
Pour Nadia, il a fallu neuf mois de "parcours du combattant" pour obtenir un diagnostic de Covid long. Ses premiers symptômes étaient une double tendinopathie achiléenne donc les deux tendons d'Achille raidis. Puis les douleurs se sont diffusées dans tout le corps. Elle a également eu des troubles cardiaques, des céphalées, des troubles digestifs...
En fait, vu qu'on a une maladie multisystémique, on va voir un rhumatologue, un gastro-entérologue, un cardiologue, un pneumologue... Je crois que j'ai vu tous les spécialistes que je ne pensais jamais voir de ma vie ou pas avant au moins mes 80 ans. Et souvent il n'y aura rien dans les résultats d'examen, donc la difficulté est que vous repartez chez vous et on vous dit que tout va bien. Ou on vous dit que vous êtes en dépression, que vous psychosomatisez. Ou bien on vous diangostique un déconditionnement à l'effort. On vous invite alors à faire des séances de rééducation, mais ça peut être surtout être très délétère. Moi, je sais que mon état a été aggravé par certaines séances de kiné qui n'étaient pas adaptées. Par certaines choses qui m'ont énormément fatiguée et l'accumulation a provoqué une descente aux enfers.
Nadia a souffert aussi de troubles de l'immunité et a dû être hospitalisée en urgence à Montpellier pour une infection rare et grave, la médiastinite. Elle évoque également l'encéphalomyélite myalgique, une maladie neurologique invalidante qui peut apparaître, souvent brutalement, suite à une infection. Elle toucherait 40 à 60% des patients atteints de Covid long, d'après l'association Millions missing France.
Pour Hélène, les symptômes sont plutôt respiratoires et cardiaques.
"Une gêne respiratoire constante, un essoufflement, même sans effort. Le système nerveux qui régule ma respiration ne fonctionne pas correctement, c'est quelque chose qu'on ne commande pas, donc je ne respire plus correctement. La régulation du rythme cardiaque se fait anormalement également."
Quant à leur avenir, il est incertain pour Nadia, Hélène et tous les patients de Covid long. Des centres de référence ont fermé, les recherches cliniques sont en cours...
"Il y a une persistance virale du Covid dans l'organisme, explique Nadia qui se tient informée et fait partie d'associations de malades comme Après J20 et Millions missing France. Mais c'est très complexe à traiter parce qu'il faudrait, par exemple, plusieurs molécules de différents antiviraux, comme pour le VIH pour pouvoir réussir à atteindre le virus. Des essais cliniques il y en a, mais il en faudrait davantage à plus grande échelle. Après, le gouvernement avait proposé une plateforme de recensement des Covid longs, mais ça, malheureusement, ça a été mis sous le tapis."
En Lozère, 23 patients ont été suivis en 2024 par le DAC48 et six nouveaux depuis le début de l'année. Son objectif est d'ouvrir d'autres groupes de parole sur le territoire pour éviter aux malades un déplacement épuisant pour eux.
Ressources :
Dac48 : 04.48.53.00.15