Publié : 8 août 2025 à 10h15 par Romain Rouquette

Ça vaut le détour : Angèle Laval, le corbeau de Tulle

Tous les jours de l'été, l'historien et écrivain aveyronnais, Daniel Crozes vous emmène en balade à la découverte des petites et grandes histoires qui font la richesse de nos régions. Aujourd'hui, il part en Corrèze à la découverte de celle qu'on appelait du corbeau de Tulle.

Cathédrale de Tulle

La Corrèze est autrement plus connue pour ses deux présidents de la République, Jacques Chirac-François Hollande, que pour ses corbeaux. Et, pourtant, le département a eu un célèbre corbeau en 1920-1921 à Tulle qui doit avant tout sa réputation à son ancienne manufacture d’armes, à son point de dentelle apprécié à la cour de Louis XIV et à sa fabrique d’accordéons.

 

Qui était ce corbeau ?

 

Ce corbeau était une femme et s’appelait Angèle Laval. Elle était originaire de Tulle où elle était née en 1886, dans une famille de la bourgeoisie qui possédait un hôtel particulier remontant à l’époque de Louis XIII dans le quartier de la cathédrale Notre-Dame. Femme bien éduquée qui avait appris les bonnes manières jusqu’à l’âge de 18 ans auprès des religieuses, comme il était de tradition dans ces familles à ce moment-là. Elle participe aux activités de la paroisse, dispense des cours de catéchisme et se comporte comme une très honnête catholique à laquelle on donnerait le Bon Dieu sans exiger la moindre confession. Mais il y avait deux facettes en elle : la bien pensante et la diabolique... Après la Grande Guerre, pour subsister parce que le franc a été malmené et ses économies ont fondu, elle accepte un emploi à la préfecture et elle tombe amoureuse de son chef de service. Elle a 34 ans, elle est toujours célibataire mais elle déchante quand cet homme l’invite, en janvier 1920, à un pot entre collègues pour arroser son prochain mariage.

 

Comment réagira-t-elle à ce coup du sort ?

 

Mal ! Très mal ! Elle décide de se venger en envoyant quantité de lettres anonymes et salaces à la bougeoisie de Tulle. Des lettres qui dénoncent l’attitude lubrique des intéressés et elle complète ses accusations par des dessins érotiques. Sa première victime est sa propre mère en janvier 1920 et la machine est lancée. Le dimanche des Rameaux, dans la cathédrale et avant l’office, certains fidèles découvrent une lettre incendiaire sur leur prie-Dieu. Le lendemain,  les plaintes s’accumulent au commissariat de Tulle. Une vingtaine !  En janvier 1921, un chef de service de la préfecture découvre que la lettre anonyme n’est pas mensongère : sa femme le trompe avec l’un de ses collègues. Il ne l’accepte pas et il se suicide en revenant à son domicile. Première victime. Il y en aura une deuxième...

 

Comment se termina cette affaire qui défraya les chroniques ?

 

C’est un prêtre de Tulle qui dénonce Angèle Laval. Il ne l’a pas entendu en confession mais il a découvert au cours d’une visite à la jeune femme une lettre qui est en cours d’écriture sur son bureau. Une expertise graphologique, effectuée par un spécialiste de Lyon pour le tribunal de Tulle, confirmera qu’elle est l’auteur des lettres même si elle le conteste. Horrifiée, sa mère demande à Angèle de se suicider. Le corbeau entraîne sa mère dans la mort à l’Etang de Ruffaud aux environs de Tulle. Angèle est arrachée à l’étang, jugée en avril 1922, condamnée à un mois de prison et une amende de 100 francs. Un psychiatre a démontré devant le tribunal que c’était une malheureuse et une désespérée. Elle mourut en 1967 âgée de 81 ans. Cette sombre histoire a inspiré à Jean Cocteau une pièce, La Machine à écrire, et à Georges-Henri Clouzot, Le Corbeau, qui a été tourné pendant le régime de Vich en 1943, alors que la délation était devenue un sport national...

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