Publié : 13 octobre 2025 à 20h05 par Johan Gesrel

"L'hôpital ne pourra pas tout absorber" : la fermeture de la maternité à la clinique Boyé de Montauban interroge

La fermeture annoncée de la maternité de la clinique Boyé de Montauban (Tarn-et-Garonne) en juin prochain suscite de nombreuses réactions chez les personnels menacés de perdre leur emplois. Avec cette question : où iront accoucher les futures mamans ?

L'entrée de la clinique Boyé à Montauban.
L'entrée de la clinique Boyé à Montauban.
Crédit : Johan GESREL.

La rumeur courait depuis déjà plusieurs mois : à Montauban, la maternité de la clinique Boyé devrait bien fermer ses portes à l'été prochain. L'annonce a été faîte en interne par la direction qui évoque une baisse du nombre de naissance passé de 900 à 500 en l’espace de cinq ans et des difficultés de recrutement. C’est la deuxième clinique après celles du Pont de Chaumes à fermer son service maternité. Désormais il n’en restera plus qu’une au sein de l’hôpital de Montauban. Ce dernier réalise déjà plus de 1100 accouchements par an.

 

"C'est vraiment un coup de massue"

Aurélie* est auxiliaire puéricultrice. Cette annonce, elle la redoutait mais sentait le couperet tomber au regard d’une dégradation des conditions de travail : 

 

"Au fil des ans, on a commencé à manquer au niveau matériel. C'est déjà arrivé qu'on ait plus de couches et qu'on demande au mari des patientes d'aller acheter des serviettes hygiéniques. C'était assez occasionnel et puis c'est arrivé de plus en plus souvent. Et puis il y a eu des réductions de personnel nous obligeant à faire le métier de deux personnes. On a un peu de mal à encaisser parce qu'on nous a demandé de faire des efforts et de faire des économies. C'est vraiment un coup de massue. Concernant le transfert des mamans vers l'hôpital, je ne sais pas comment on va faire. Il y a une semaine, l'hôpital nous a demandé de récupérer des patientes à eux parce qu'ils sont pleins et ils ne savent plus où les mettre. Qu'est-ce que ça va être quand on ne sera plus là? L'hôpital ne pourra pas tout absorber." 

*Prénom de substitution car elle souhaite rester anonyme

 

"On ne sait pas s'il y a eu une vraie volonté de se battre"

La déléguée CGT de la clinique Boyé Céline Navarro parle d’une "une attaque contre le droit des femmes” et dénonce un Plan social qui va impacter les salariés du service. Le syndicat appelle les pouvoirs publics à s'emparer du dossier : 

 

"Ça fait quelques temps déjà que la direction nous affirme avoir des difficultés à recruter des médecins obstétriciens sur la clinique. On a un sérieux doute là-dessus. Elle embauche un directeur général adjoint pour renforcer son encadrement et malheureusement, il y a un gynécologue qui a été reçu il y a pas très longtemps sur la structure et qu'elle n'a pas réussi à retenir pour travailler ici, ce qui est bien dommage. On savait qu'avec des départs à la retraite prévus que ça allait arriver. On ne sait pas s'il y a eu une vraie volonté de se battre assez pour garder ce service ouvert. En 2022 il y a eu une grève des auxiliaires de puériculture et des aides soignantes dans ce service pour demander des augmentations de salaire et de meilleures conditions de travail. Depuis la direction avait pris en grippe ce service. On est donc en droit de se poser des questions."

 

"Il faut stopper l'hémorragie"

Patricia Malou, directrice de la clinique Boyé Croix-Saint-Michel, a accordé un entretien à TOTEM. 

Qu'est-ce qui vous pousse à fermer la maternité de votre clinique ? 

Tout d'abord, je me permets de dire que c'est un projet. La maternité de la clinique Boyé qui est une entreprise familiale a été créée dès son départ en 1943 par mon grand-père. Pour nous le mot "maternité" c'est le cœur de notre entreprise et nous avons toujours tenu à ce qu'elle perdure et on s'y est employé. 

Alors pourquoi fermer ce service si important à vos yeux ? 

La baisse des naissances. Il existe une baisse de la natalité en France. Sur le Tarn-et-Garonne, il est de moins 10%. Ensuite, il y a les départs en retraite de trois praticiens sur cinq. Aujourd'hui, nous n'avons plus que deux gynécologues obstétriciens pour assurer les astreintes. Nos recherches sont restées infructueuses alors que nous avons fait appel à dix sociétés de recrutement. Cette année, on ne devrait pas atteindre les 500 accouchements contre 930 en 2022. Or nous avons du personnel dimensionné pour assurer près de 1000 accouchements et on ne peut pas diminuer ce personnel.

Vous accusez aujourd'hui 800 000€ de déficit rien que pour ce service ? 

Oui aujourd'hui ce secteur est tellement déficitaire qu'il peut mettre en péril la clinique dans son entier (la clinique Boyé réalise 15 millions de chiffre d'affaire, ndlr). C'est pour ça que nous avons très mal au cœur, moi en particulier parce que c'était la création de mon grand-père et que je me suis toujours battue pour défendre cette maternité qui a toujours été le "bébé" de la clinique. Aujourd'hui, je n'ai plus le choix, j'en suis très triste. Nous avons donc le projet de transfert de la maternité sur l'hôpital public de Montauban. Nous nous entendons très bien avec son directeur Sébastien Massip et son équipe médicale qui est prête à nous aider et qui depuis quelques mois s'organise pour accueillir nos futures parturientes. Je tiens aussi à dire que ce dossier ne sera pas conclu avant juin 2026.

Quel avenir pour les 26 salariés de ce service ? 

Nous avons pris la décision d'annoncer à notre CSE que nous commençons à travailler sur ce dossier depuis le mois d'avril ainsi qu'avec nos ARS régionales et territoriales. Nous essayons de trouver la meilleure solution. Nous allons pouvoir transférer du personnel dont les diplômes sont adéquats en service de médecine et de chirurgie pour certains. Pour les auxiliaires de puériculture (qui représentent 50% du service, ndlr), nous allons leur proposer une formation pour qu'elles passent un autre module leur permettant de répondre à tous les critères du métier d'aide soignante. Elles seront les bienvenues dans nos services de médecine et de chirurgie. Il nous reste les sages-femmes et nous essayons avec Monsieur Massip de trouver une solution pour qu'elles soient accueillies à l'hôpital. Nous travaillons avec le CSE sur Plan de sauvegarde de l'emploi qui durera 5 à 6 mois pour bien les aider, les accompagner. 

La CGT estime que vous n'avez pas mis tous les moyens pour sauver cette maternité...

J'ai tout fait, c'était ma priorité. Même les médecins de la commission médicale d'établissement qui ne sont pas de cette spécialité maternité me disaient : "Mais Patricia, il faut arrêter l'hémorragie, on ne va pas faire couler la clinique parce que vous voulez préserver une maternité qui n'a plus d'avenir." Aujourd'hui, les médecins gynécologues obstétriciens veulent aller dans des maternités qui sont plus grandes, leur permettant une qualité de vie. Et nous, entre 500 et 900 accouchements, on n'est pas attractif. Pour ces médecins qui recherchent une qualité de vie, des gardes sur place, des journées de repos qui ne veulent plus entendre parler d'astreinte. Et puis Montauban n'est pas non plus une ville au bord de la mer qui pourrait être très attractive. Depuis que nos médecins nous ont annoncé qu'ils allaient partir à la retraite, je ne fais que ça, je mets ce dossier en priorité. Je suis très attachée à la maternité mais à un moment il faut reprendre nos esprits et penser aussi à préserver la structure et nos autres spécialités qui elles se développent. Je ne peux pas les laisser tomber. Je ne peux pas déposer un bilan d'une entreprise privée qui emploie 145 personnes pour préserver une maternité pour laquelle je me suis beaucoup battue. 

Avez-vous un message pour les futures mamans ? 

Faites-nous confiance, nous maintenons notre sécurité et notre qualité. Nous avons des médecins, que ce soit nos médecins gynécos, nos anesthésistes, nos pédiatres, nos sages-femmes, toute notre équipe soignante est au complet. Ne retirez pas vos dossiers, faites-nous confiance, nous vous préviendrons si un jour cette maternité doit être transférée. Vous savez qu'aujourd'hui on est entre deux, qu'on continue à rechercher des gynéco-obstétriciens. Si jamais on ne pouvait pas, parce qu'ils veulent accéder à des maternités plus grandes et peut-être dans des villes plus attractives, jusqu'au mois de juin, pensez que vous pouvez accoucher sereinement, dans les meilleures conditions de qualité et de sécurité.