25 avril 2024 à 17h58 par Johan Gesrel

Une affaire de vol de rails sur fond de caisse noire à la SNCF

Le tribunal correctionnel de Cahors a condamné ce jeudi 25 avril trois hommes dont un agent de la SNCF dans une affaire d’escroquerie, faux, usage de faux et association de malfaiteur. Ils sont soupçonnés d’avoir participer de près ou de loin au vol de 500 tonnes de rails dans l’ancienne gare de fret de Cahors.

Maître Guy Debuisson l'avocat des deux ferrailleurs.

Crédit : Johan GESREL

Le tribunal correctionnel de Cahors (Lot) présidé par Philippe Clarissou a jugé ce jeudi 25 avril un ancien agent SNCF et deux hommes d'une même famille de ferrailleurs toulousains. En cause : le vol de 500 tonnes de rails ferroviaires entreposés dans l’ancienne gare de fret de Cahors pour un préjudice de 124 000€. La marchandise devait être vendue puis fondue en Espagne.


"Tout le monde y croque depuis des années".


Cette affaire a été mise au jour fin août 2023 lorsque la SNCF dépose plainte et engage une enquête interne suite à l'absence de 500 tonnes de traverses et d'anciens rails d'acier. Le principal mis en cause est un chef d'équipe voie d'une quarantaine d'années. Ce dernier qui a depuis été radié reconnaît à la barre du tribunal avoir falsifié un document à en-tête de l'entreprise pour faire enlever d'anciens rails et des restes de ferrailles pour "permettre de décharger des rails neufs. Le site était plein à craquer, ça faisait plusieurs fois que je disais à ma hiérarchie de s'en débarrasser".


Selon le cheminot, l'argent récupéré en contrepartie doit aussi servir à une caisse noire "casse-croûte". Celle-ci permet selon lui de payer les grands repas de fin d'année avec les anciens de la SNCF à la retraite. Une pratique qui semble établie dans la profession. "Tous les agents disent que cet usage existe", souligne l'avocate du prévenu Frédérique Bellinzona dans sa plaidoirie, "tout le monde y croque depuis des années". 


"Là j'ai compris que j'ai fait une connerie"


Sur les conseils d'un collègue cheminot, l'agent prend alors contact avec une équipe de ferrailleurs de Toulouse, un retraité d'une soixantaine d'années et son gendre de 29 ans, qui disent travailler avec la SNCF depuis 20 ans. Grâce au document falsifié, les ferrailleurs passent contrat avec une entreprise de recyclage chargée d'enlever les métaux. A l'aide de chalumeau, de remorques et d'une grue, la société vient sur l'ancienne gare de fret de Cahors et récupère plus de 560 tonnes de ferrailles sans que cela n'éveille l'attention des cheminots cadurciens.


Max et les ferrailleurs...


Absent lors des opérations d'enlèvement, l'agent découvre à son retour de vacances qu'il manque des quantités astronomiques de rails : "Là j'ai compris que j'ai fait une connerie. C'était pas prévu pour 560 tonnes". Qui a perçu l'argent ? lui demande le président Philippe Clarissou : "Personne", répond l'agent. Une plainte est déposée par la SNCF le 23 août suivie d'une enquête interne. Très vite, les enquêteurs du commissariat de Cahors remontent alors la piste qui aboutit chez les deux ferrailleurs. Des perquisitions permettent de découvrir de grosses quantités d'argent en liquide dans des enveloppes, des sommes déposées sur plusieurs comptes d'une soeur et des enfants de la famille, des voitures récemment achetées dont une BWM estimée à 36 000€. 


"Son intérêt à lui c'est de prendre le bifteck!"


A la barre, le patriarche et son gendre expliquent avoir passé un deal avec l'agent de la SNCF pour lui verser 40 000€ en liquide. Une somme de 6000€ versée sous forme d'accompte et 34 000€ versée dans un deuxième temps lors d'un déplacement à Montauban au cours d'un match de rugby. Une version mise à mal par le procureur Patrick Serra : "rien ne colle ni sur les sommes, ni sur les lieux, ni sur les dates." Pour leur défense, l'avocat Guy Debuisson rappelle que cette famille de ferrailleur travaille depuis 20 ans avec la SNCF : "Quel est leur intérêt de venir à Cahors pour récupérer quelques tas de ferrailles si ce n'est pas pour gagner de l'argent." Et l'avocat de plaider la relaxe pour ses clients et de charger l'ancien agent : "Son intérêt à lui c'est de prendre le bifteck!"


Au final, les deux ferrailleurs ont été condamnés à 12 mois de prison avec sursis et 15 000 euros d'amende et la confiscation des scellés dont une BMW estimée à 36 000€. L'agent SNCF écope de 8 mois de prison avec sursis. La SNCF s'est constituée partie civile dans ce dossier. Une audience sur intérêts civils aura lieu le 9 octobre 2024.